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Sanctions contre la Russie : le monde du sport entre dans une nouvelle ère
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Pour Loïc Tregoures, Docteur en science politique, les sanctions sportives prises à l’encontre de la Russie soulèvent plusieurs questions quant au positionnement du secteur sportif à l’avenir.

L’agression russe contre l’Ukraine a provoqué un mouvement inédit de réactions en provenance du monde du sport, mais aussi de la science et de la culture (EN).

Si l’on s’en tient au monde du sport, des athlètes, des fédérations nationales, des organisateurs de compétitions (EN) ou encore des États (EN) ont, dans un même élan, annoncé leur intention de ne plus concourir contre des représentants de la Russie, de ne plus les accueillir ou de ne plus se rendre en Russie pour une compétition sportive.

Cet élan a abouti à ce que le Comité international olympique (CIO) recommande, le 28 février dernier, de « ne pas autoriser la participation d’athlètes et d’officiels russes et bélarussiens » à des compétitions sportives – une recommandation immédiatement mise en œuvre par l’UEFA et la FIFA à travers plusieurs décisions, notamment l’exclusion du Spartak Moscou de l’Europa League et celle de la sélection russe des qualifications au Mondial 2022.

Ayant longuement étudié les sanctions sportives qui touchèrent la République fédérale de Yougoslavie (RFY, regroupant Serbie et Monténégro) de 1992 à 1995, l’auteur souhaite faire un pas de côté au regard de l’enchaînement rapide des derniers jours afin de poser plusieurs questions qui, si elles sont éludées aujourd’hui, ne manqueront pas de se poser demain.

Un précédent unique : la Yougoslavie de Milosevic en 1992

Les sanctions sportives s’inscrivent dans la panoplie de sanctions internationales développées au début des années 1990 à la faveur de la fin de la guerre froide et de la montée en puissance des interventions et opérations de l’ONU. Certains chercheurs ont ainsi parlé de la « décennie des sanctions » (EN). Néanmoins, elles ne furent votées qu’une seule fois, contre la RFY, par l’article 8b de la résolution 757 du 30 mai 1992 relatif aux échanges sportifs, scientifiques et culturels.

On se souvient que ces sanctions eurent comme traduction immédiate le départ de la sélection de RFY de Suède (EN), où elle devait disputer l’Euro 1992 de football. Les archives de la correspondance entre la FIFA et la fédération yougoslave montrent que la FIFA n’a agi que contrainte par la résolution de l’ONU, alors qu’elle avait écarté cette possibilité quelques jours avant seulement, dissuadant d’ailleurs les autorités politiques suédoises, très tentées de renvoyer les athlètes yougoslaves, de le faire, arguant que cela créerait un précédent extrêmement dangereux.

De son côté, le CIO, par la voix de son président Juan Antonio Samaranch, déploya une diplomatie parallèle dans les grandes capitales afin d’amoindrir la portée de ces sanctions en vue des Jeux de Barcelone à venir, au grand dam de certains États membres du comité des sanctions de l’ONU. In fine, un compromis fut trouvé sous la forme d’une participation des athlètes serbes et monténégrins sous drapeau blanc (EN), mais uniquement pour les sports individuels, d’où l’absence de la sélection de basket emmenée par Vlade Divac.

Quel bilan a-t-on pu tirer de ces sanctions sportives ? Cette question renvoie à celle, trop souvent éludée, des objectifs des sanctions. En l’espèce, personne ne croit sérieusement que des sanctions sportives vont pousser un régime à changer de politique. Cela est l’affaire de sanctions économiques massives et/ou ciblées. Les sanctions sportives, elles, vont toucher à la symbolique de la représentation internationale du pays visé.

Si l’on considère que les compétitions sportives revêtent un caractère de puissance, alors priver un État de cette démonstration peut être vu comme symboliquement pertinent. Les sanctions sportives combinent donc à la fois un impact symbolique à l’international, mais aussi un message directement adressé au peuple concerné. C’était l’avis de l’ambassadeur autrichien au sein du comité des sanctions de l’ONU, pour qui cette mesure servait précisément à faire comprendre directement au peuple serbe (et non à son gouvernement) que la communauté internationale désapprouvait la politique du régime de Milosevic.

Cette position, apparentant les sanctions sportives à une punition, ne fit pas l’unanimité malgré le vote de la résolution, à treize voix contre deux abstentions (Chine et Zimbabwe, ce qui signifie au passage que la Russie vota pour). Ainsi, l’ambassadeur de France à l’ONU Jean‑Bernard Mérimée déclara :

 Le texte comporte également une disposition sur le gel des contacts sportifs. Je souhaite indiquer de manière très claire que la France, qui a voté la résolution, se dissocie de ce passage. Pourquoi ? Parce que la mesure envisagée est dérisoire par rapport à la gravité des enjeux, inutilement vexatoire et, surtout, inappropriée parce que empruntée à une panoplie de mesures adoptées dans un autre contexte, celui de la lutte contre l’apartheid. »

Un bilan mitigé

Dans les faits, ces sanctions n’eurent pas l’effet escompté de choc psychologique puisqu’elles furent ressenties par la population de la RFY comme une grande injustice. Au demeurant, Milosevic était loin d’être populaire en 1990-1992 : des manifestations contre la guerre rassemblèrent plusieurs dizaines de milliers de personnes avant que l’exode, la répression, l’embargo et la fatigue ne viennent faire leur œuvre. La levée des sanctions sportives en 1994 qui fait suite à l’annulation d’autres sanctions (suspension de l’interdiction de survol international et de transport aérien, votées par la résolution 943 le 24 septembre 1994, en échange de la reconnaissance par Belgrade de la frontière entre la Bosnie et la Serbie, et de retrait du soutien politique, militaire et matériel aux Serbes de Bosnie) servit en revanche de levier pour obtenir quelques concessions de la part de Milosevic.

Néanmoins, les sanctions sportives ne furent plus utilisées à ce niveau depuis lors. Trois hypothèses peuvent être avancées pour l’expliquer.

Tout d’abord, il n’y a plus jamais eu d’accord au Conseil de Sécurité de l’ONU pour soumettre un autre pays à des sanctions aussi massives que celles qui ont touché la RFY en 1992.

Ensuite, le bilan de ces sanctions (qui sont aussi scientifiques et culturelles, il faut le rappeler) est jugé comme négatif à l’aune de leur objectif : l’humiliation gratuite l’emporte sur le choc psychologique.

Enfin, les fédérations internationales de sport ont toujours affirmé leur réticence à ce type de sanctions, ce qui n’est pas négligeable au regard de leur poids dans les relations internationales.

D’ailleurs, lorsqu’en 1998 certains intellectuels et parlementaires européens réclameront l’exclusion de la RFY du Mondial en raison des exactions commises par les forces de Milosevic au Kosovo, le porte-parole de la FIFA, Keith Cooper, se contentera de dire : « La FIFA a pour politique de suivre celle des Nations unies. Comme la Yougoslavie s’est qualifiée sur le terrain et qu’il n’y a pas de directive de l’ONU, il n’y a aucune raison de réviser notre position. »

Il en fut de même plus récemment pour la Syrie, dont les sportifs ont pu continuer à prendre part aux compétitions internationales en dépit des crimes imputés au régime de Bachar Al-Assad.

La prise d’autonomie des fédérations et des athlètes

Il existe une différence forte entre le cas yougoslave et la Russie : outre que les sanctions n’émanent pas de l’ONU (et pour cause, la Russie ayant droit de veto en sa qualité de membre permanent du Conseil de Sécurité), elles sont le résultat d’une mobilisation d’athlètes et de fédérations de sport, et non pas « simplement » d’organisations des droits humains, qui appellent régulièrement à ce type de sanctions ou de boycott, par exemple contre la Chine.

Autrement dit, en ce qui concerne le sport, on ne peut même pas évoquer des « sanctions » à proprement parler puisqu’elles n’émanent pas d’une autorité politique légitime et centralisée, mais plutôt d’un boycott massif initié par le bas, que les fédérations internationales de sport ont dû, bon gré mal gré et sous une intense pression, entériner. De ce point de vue, la situation actuelle ferait davantage penser au précédent de l’Afrique du Sud sous apartheid : là aussi, des décisions d’exclusion avaient été prises par le bas et sous la pression, mais en ordre plus dispersé, sport par sport, que ce que l’on peut voir actuellement.

Dès lors, quelles sont les questions soulevées par les choix du CIO, sommet de la pyramide de mouvement sportif international, puis de la FIFA, si l’on se concentre sur elles ?

Le CIO fonde sa recommandation sur trois choses. D’une part, l’équité vis-à-vis des athlètes ukrainiens qui ne peuvent plus concourir. D’autre part, la sécurité des compétitions et des athlètes. Une préoccupation prise en compte par la FIFA et l’UEFA, qui ont initialement ordonné que les rencontres prévues en Russie et Ukraine soient disputées sur terrain neutre. Enfin, le CIO met en avant la violation de la trêve olympique (préambule et point 4 de la déclaration) pour sanctionner en particulier des individus, y compris Vladimir Poutine. Depuis 1992, le CIO lance un appel international au respect de cette trêve. L’Assemblée générale de l’ONU vote avant chaque olympiade une résolution symbolique appelant à son respect.

Néanmoins, nous sommes bien ici dans la symbolique. Cela ne veut pas dire que ça n’a pas d’importance, puisqu’il semble que la Chine ait demandé à Poutine d’attendre la fin des Jeux d’hiver pour attaquer l’Ukraine (EN) (les Russes sont passés à l’offensive deux jours après la fin des JO de Pékin réservés aux athlètes valides, mais cette attaque continue alors que les Jeux paralympiques, qui se tiennent dans la même ville, sont en cours).

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