Abus sexuel sur enfants dans le sport : points de vue d’une équipe de recherche survivante/alliée

J'ai seulement commencé à comprendre que j'avais été agressée sexuellement lorsque j'étais enfant par mon entraîneur de basket-ball environ 10 ans après l'abus, en 2017. À cette époque, j'étais au milieu de mon doctorat en politique du sport paralympique à l'Université Victoria en Australie et j'avais de faire une pause dans mes études à cause du stress post-traumatique. Ma façon de combattre la douleur était de partager mon histoire et de découvrir comment résoudre le problème des abus sexuels sur enfants dans le sport.

J'ai parlé pour la première fois publiquement de mon histoire personnelle en 2018, à la fois sur mon site Internet et dans l'actualité en France, et j'ai décidé de mettre mes compétences de recherche en action. Avec mon amie et collègue Dr Mary Woessner, nous avons passé nos soirées et nos week-ends à étudier les complexités de cette question. En lisant davantage sur la violence dans le sport, nous avons réalisé qu’il y avait tellement de choses que nous ignorions. Nous avons recherché des discussions avec des leaders du domaine, travaillé avec des initiatives médiatiques et développé une équipe de recherche composée d'experts en sociologie et en criminologie sur le thème de la violence (émotionnelle, physique et sexuelle) contre les enfants dans le sport. Ci-dessous, nous partageons quelques aperçus de notre voyage jusqu’à présent.

Bien que mon histoire ait été reprise par les journaux et la radio en France, elle n'a pas eu beaucoup de succès. Peut-être que mon histoire ne s'est pas répandue parce que je n'étais pas un athlète de haut niveau. Peut-être était-ce parce que cela faisait 10 ans, ou peut-être parce que la société n'était tout simplement pas encore prête. Le tollé qui a entouré le médecin américain en gymnastique Nassar, condamné pour des décennies d'abus contre des athlètes, n'a pas créé le débat public plus large et durable sur la maltraitance des enfants dans l'institution sportive que j'espérais ; au moins nous avons remarqué qu'il n'atteignait ni la France ni l'Australie. Mary et moi nous sommes demandé ce qu'il faudrait faire pour attirer l'attention sur cette question. Tout a changé lorsque le silence a été à nouveau rompu, il y a trois semaines, en France.

J'ai été soulagée lorsque les médias français ont couvert l'histoire de Sarah Abitbol, une patineuse professionnelle qui a enduré des années d'abus sexuels perpétrés contre elle par son entraîneur. Semblable à l'histoire de Nassar, qui a souligné l'échec de l'administration à protéger les enfants de USA Gymnastics, l'histoire de Sarah a mis en lumière les dysfonctionnements de la Fédération française des sports de glace. C'est l'une des premières choses que Mary et moi avons remarquées. La maltraitance des enfants dans le sport n’est pas seulement un problème individuel, c’est aussi un problème systémique. Cela signifie que les organisations sportives et les politiques gouvernementales en matière de sport ont un rôle important à jouer dans la protection des enfants.

Même s’il est terrible de lire les nombreuses histoires de maltraitance d’enfants dans le sport, voir ces histoires dans les médias est positif en soi. Pour vaincre un problème social aussi complexe, nous devons lever le tabou du sujet en en discutant ouvertement, afin de permettre la guérison, une meilleure compréhension et un travail de prévention.

Mary et moi vivons en Australie depuis cinq ans. Contrairement aux rumeurs qui circulent en France et en Europe, l'Australie, l'un des pays les plus sportifs au monde, est en proie à un silence relatif sur la question. Cependant, cela va bientôt changer. Play by the Rules est une collaboration entre les gouvernements nationaux et étatiques qui lancera plus tard cette année une campagne médiatique nationale pour lutter contre la maltraitance des enfants dans le sport, appelée « Commencez à parler ». Cette initiative s'inspire de la campagne du Conseil de l'Europe. La campagne a de nombreux objectifs, mais comme son nom l'indique, le principal est d'encourager les gens à « commencer à parler » de la violence contre les enfants dans le sport. Mary et moi siégeons toutes les deux au comité consultatif de cette campagne en tant que chercheuses. Nous espérons que cette campagne lancera des discussions aux niveaux individuel, familial, communautaire et gouvernemental en Australie. Nous avons besoin de champions à tous les niveaux pour apporter des changements.

Enfin, au niveau international, l’un des plus grands défis dans la lutte contre le problème épineux de la violence contre les enfants est le travail cloisonné que mènent de nombreux chercheurs. La maltraitance dans le sport nécessite et mérite une approche collective et multidisciplinaire. Afin de résoudre ce problème, Mary et moi avons rejoint un groupe d'experts internationaux en recherche dans ce domaine appelé IRNOVIS (International Research Network on Violence and Integrity in Sport). Le groupe se réunira pour la première fois lors de la Conférence internationale sur le sport sécuritaire 2020 à Québec en avril pour discuter d'une voie innovante et collaborative pour faire avancer la recherche et l'élaboration de politiques dans ce domaine.

Les stratégies de prévention et de protection des enfants sont de plus en plus à l’ordre du jour d’un certain nombre d’organisations sportives et de gouvernements à travers le monde. Garantir la sécurité de tous les enfants sera un effort de l’ensemble de la société. Nous espérons qu’avec l’attention accrue accordée à la violence contre les enfants dans le sport par les médias, le plaidoyer et le soutien des décideurs politiques, l’attention de chercheurs dévoués et le soutien et la sensibilisation des communautés locales, nous allons dans la bonne direction.