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Le sport est-il encore un jeu ?
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Beaucoup de discours sont centrés sur les « valeurs » du sport. Elles seraient un moyen idéal de renforcer la cohésion et de transmettre des messages sociaux et éducatifs. Mais de quel sport et de quelles valeurs parle-t-on ? Loin d’être une certitude, ce postulat demeure une hypothèse à interroger.

Les sports collectifs les plus populaires ont été créés par des hommes (souvent blancs, des classes aisées) pour des hommes. Ils sont basés sur l’opposition, la compétition et la compétitivité, générant forcément des vainqueurs et des vaincus. Ils ont vu l’avènement du sport business. Les clubs professionnels accroissent leurs revenus en multipliant les succès qui leur permettent d’investir (infrastructures, joueurs, académies) pour générer de nouvelles recettes (droits TV, trading de joueurs, merchandising, billetterie). Le fossé entre les clubs les plus riches et les autres s’accentue en même temps que diminue « la glorieuse incertitude du sport ».

Ce raisonnement force les clubs à adopter une forme de pragmatisme, une Realpolitik sportive, qui se concentre plus sur les résultats (la victoire impérative) que sur d’autres sujets qui deviennent accessoires, incluant l’impact social. L’essentiel reste « les trois points de la victoire ». Cette logique s’est vite imposée comme une règle incontournable. Elle s’est répandue division après division, depuis le sport d’élite jusqu’à la pratique « loisirs » en passant par le sport amateur.

Les sports modernes sont-ils vraiment un socle pertinent pour le développement par le sport ?

En quoi est-il légitime de baser des projets sociaux sur des activités orientées par un besoin impérieux de victoire ?  Les sports modernes et le modèle du sport business sont régis par des valeurs patriarcales et de domination qui ne peuvent constituer une base saine pour aspirer à un quelconque progrès social.

Concilier impératif de victoire et projets sociaux semble paradoxal voire antinomique, encore plus quand on y associe gestion capitalistique et marchandisation à outrance. Prétendre que par essence et de façon innée, le sport moderne permet de véhiculer un quelconque message social serait donc au mieux une fausse bonne idée, au pire une erreur fondamentale. Les sports modernes ne disent que ce qu’on veut leur faire dire : ils peuvent autant enseigner la cohésion, le fair-play, la persévérance que le vice, la triche, le mensonge. Laissons une balle de football dans une cour de récréation et observons. Comment seront constituées les équipes ? Quel sera l’objectif premier de chacun ? Combien de filles seront autorisées à se joindre et oseront le faire ? (D’ailleurs, quel est le féminin de vainqueur ?)

Les projets de développement par le sport doivent être interrogés dans leurs intentions, leurs méthodes et résultats. Il ne s’agit pas de condamner invariablement ces initiatives (beaucoup sont exemplaires à plus d’un titre), mais de questionner l’emploi systématique des sports modernes comme support de projets sociaux. Le but premier de ces projets ne doit pas être d’assurer la promotion d’un spectacle ou de renforcer la domination des uns sur les autres mais plutôt de répondre à des besoins sociaux.

Or, les sports modernes, centrés sur la notion de compétition, peuvent parfois accentuer les inégalités (sociales, territoriales, culturelles, économiques) et les travers d’un modèle sociétal dans lequel ils sont pleinement intégrés. Les acteurs du sport, même bien intentionnés, ont tendance à se reposer massivement et exclusivement sur leur sport de prédilection pour créer des projets sociaux, s’embourbant parfois dans des logiques contreproductives, quasi schizophréniques : comment lutter contre des maux à l’aide d’un outil qui contribue à les entretenir ? Les politiques sociales basées sur le sport ne doivent être ni instrumentalisées, ni prises en otage ou servir le sport business.

Peut-on encore réellement « jouer » quand on parle de ces sports devenus business ?

Le sport business est un divertissement, un spectacle à considérer comme tel, ni plus ni moins. La crise sanitaire du COVID-19 l’a démontré, il n’est pas indispensable et ne semble pas offrir les meilleures conditions pour atteindre des objectifs sociaux identifiés. La crise économique qui suivra probablement la crise sanitaire risque même de renforcer les logiques de rentabilité et l’impératif de victoire. Une fois la pandémie terminée, nul doute que les clubs professionnels, qui sont des entreprises, retourneront aux affaires, de gré ou de force.

Dans le même temps, l’épidémie actuelle a aussi replacé le jeu et l’activité physique au centre des discussions et des occupations, en les rendant à nouveau indépendants des sports modernes. La performance et la course aux objectifs ont toutefois occupé une place majeure, au détriment des aspects ludiques. Le droit de jouer est un droit fondamental reconnu aux enfants par les Nations Unies. Il doit prévaloir à toute activité sportive. Il doit servir de base à tout apprentissage via des activités physiques.

Recommandations

Pour toutes les raisons évoquées précédemment, nous pourrions :

  • Etendre le droit de jouer comme droit fondamental pour toute l’humanité, enfants comme adultes ;
  • Renforcer la place du jeu dans toute activité sportive ou physique déployée dans le cadre de projets de développement par le sport (pas de notion de vainqueur ou vaincu, pas uniquement de « performance » ou de compétition, adaptation des règles avec le concours de scientifiques et spécialistes de l’éducation ou de la pédagogie pour répondre à des besoins sociaux identifiés) ;
  • Recommander d’utiliser d’autres supports (jeux sportifs, jeux traditionnels, pratiques émergentes) que les sports de masse pour les projets de développement par le sport et arrêter de les considérer comme un vecteur unique et privilégié de messages sociaux ;
  • Faire en sorte que de tels projets s’adressent à tout le monde, incluant toutes les minorités ;
  • Systématiser leur évaluation par des scientifiques indépendants ;
  • Contraindre les clubs professionnels qui développent des politiques RSE et organisations publiques et privées qui financent des projets basés sur le sport à respecter les quatre points précédents ;
  • En France, étendre la taxe Buffet à l’ensemble des revenus générés par l’industrie du sport (au-delà des droits TV, les paris sportifs, les transferts, le marketing, la billetterie) et conditionner l’obtention de fonds publics à la réalisation de projets éducatifs et sociaux respectant les points précédents ;
  • Distinguer ce que l’on peut être en droit d’attendre du sport business qui relève du divertissement et de l’activité physique, des jeux traditionnels.

Passionné des thématiques culturelles en lien avec le football (littérature, histoire, politique…), Franck d’Agostini a étudié ce phénomène social avant de travailler dans les départements RSE et fondations sportives depuis 2012.

Hugo Beguerie est président de l’association les Big Bang Ballers France et salarié d’une ONG internationale d’éducation et d’inclusion par le sport.

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